vendredi 20 février 2015

Dreamshot #2 - La Révolte des pirates

La vague avait déposé la caravelle sur un arbre gigantesque au milieu de la place du village. Nous nous étions alors activés pour masquer notre présence : démonter le bateau, le transformer en cabane cachée au milieu du feuillage. Il faisait nuit, personne ne nous avait vus. La densité du branchage empêchait la lumière discrète de nos lampions d’être aperçue depuis la place. Néanmoins nous pouvions observer sans difficulté les allées et venues des habitants et des Soldats Tristes. Dimitri était chargé du ravitaillement et de l’évacuation des déchets, c’est lui qui prenait le plus de risques. Il nous ramenait des boîtes de conserves et du maté, et nous faisions un feu au cœur de l’arbre pour cuire la nourriture et nous réchauffer durant la nuit. Maria guettait la mer et l’arrivée des renforts. Esteban et Rory jouaient aux cartes en attendant de pouvoir assassiner le Colonel Triste. Et moi je surveillais la place.

Un après-midi, les élèves de l’école jouaient au ballon en-dessous de nous. Les cris des enfants montaient jusqu’à notre refuge, pleins de vie. Je tenais la main de Maria en les regardant. Elle souriait. « Bientôt ils seront libres », lui chuchotai-je à l’oreille. Puis tout s’assombrit. Des bruits de pas cadencés couvrirent les voix des enfants qui se turent petit à petit. Les Soldats Tristes débarquèrent sur la place, le Colonel Triste à leur tête. Les écoliers se mirent en rang, dociles. Esteban et Rory se crispèrent. « Pas maintenant », dis-je. Nous ne pouvions pas prendre de risque avec les enfants. « Tout va bien se passer, dis-je à Maria, retourne observer la mer ».

Le Colonel Triste passait les élèves en revue : la mise de leur uniforme, la couleur de leurs cheveux et de leurs yeux, la propreté de leurs mains. Soudain Maria étouffa un cri. « Les renforts ! » Esteban, Rory et moi nous précipitâmes du côté de la mer. Des dizaines de bateaux étaient apparus à l’horizon. Nous nous serrâmes les épaules en souriant.

Est-ce le fait d’avoir abandonné ma surveillance qui provoqua l’incident ? Qu’aurais-je vu si j’étais resté à regarder les enfants ? Quand je regagnai mon poste, il ne restait plus d’eux qu’une longue guirlande en papier rouge de silhouettes grandeur nature, comme ma mère en découpait pour mon anniversaire dans du papier crépon. Le vent la faisait voltiger au-dessus des pavés. Dessous, un ballon rebondissait, abandonné. Dans une rue s’enfuyant de la place, la colonne des Soldats Tristes s’éloignait et formait une masse sombre fantomatique diminuant au fur et à mesure. Quand le silence fut total, je vis le ballon rouler jusqu’au corps de Dimitri, étendu au pied de l’arbre.

Depuis nous attendons les renforts en contenant notre rage. La Révolution sera sanglante. Les jours du Colonel Triste sont comptés.

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