mercredi 6 mars 2013

La banane

Il y a des périodes où l’on a besoin de lire des livres légers, drôles, sans conséquences, sans pour autant abdiquer son intelligence. La Cité des oiseaux, d’Adam Novy, paru en janvier chez Inculte, c’est génial (j’en parlerai d’ailleurs demain dans la Salle 101), mais ce n’est pas vraiment ça qui remonte le moral. Ces derniers temps, je me suis donc orienté vers des livres plus courts, au gré de conseils amicaux et du hasard, histoire de retrouver la banane.


Commençons par Mon chien Stupide, de John Fante, qui m’a été conseillé par Eve (le livre faisait partie de la sélection de Fabrice Colin à Charybde en juin 2012, mais j’avoue qu’alors ce roman ne m’avait pas fait de l’œil). Henry, un scénariste au chômage, la cinquantaine, affublé d’une femme et de quatre enfants dont il ne sait s’il les aime ou les déteste, découvre un jour dans sa cour un chien gigantesque qui dort sous la pluie. Après avoir tenté de s’en débarrasser, il se prend d’affection pour Stupide et décide de le garder : un chien qui essaye de s’enfiler tout ce qui bouge (surtout le fiancé de la fille d’Henry, sorte de surfer fainéant qui vit dans son van et parasite le frigo de la maison) ne peut pas être foncièrement mauvais. C’est très drôle, sarcastique, parfois méchant, c’est surtout la détresse d’un homme qui regarde derrière lui et voit ses rêves perdus au loin. Malgré ses défauts (il est égoïste, raciste, homophobe et misogyne, bref un pur produit de son époque), Henry en devient attachant de par sa mélancolie et l’affection qu’il porte à ce chien véritablement stupide.


Continuons par Boris Vian. Je n’avais jamais lu Boris Vian (allez-y, je vous laisse 30 secondes pour me siffler, me huer, m’insulter). La sortie prochaine de l’adaptation de L’Écume des jours par Michel Gondry m’a décidé à me lancer. Certes, les aficionados du roman crient au scandale et à la trahison devant la distribution, Romain Duris et Audrey Tautou en tête. En même temps je les comprends : quand on a lu et adoré un roman dans sa jeunesse, on s’en est fait une idée précise et les acteurs qu’on nous impose ne peuvent satisfaire nos attentes. Mais je suis un fan de Michel Gondry, j’irai donc voir le film. Pas sans avoir lu roman. Dont acte. Je n’en parlerai pas trop ici, déjà parce qu’il n’est pas vraiment drôle : il est parcouru d’une fantaisie débridée particulièrement attachante, mais il est aussi, et avant tout, triste. Et j’ai trouvé les personnages assez fades, au final – et du coup les voir interprétés par Romain Duris et Audrey Tautou ne me choque pas tant que cela (30 nouvelles secondes d’invectives).


En revanche, j’ai beaucoup plus apprécié Vercoquin et le plancton, conseillé par Léo Henry lors de sa venue chez Charybde. Déjà, il est nettement plus drôle, hilarant par moments. L’intrigue ne présente aucun enjeu mélodramatique, ce qui en fait un roman léger, idéal pour se vider la tête. L’heure est à la fête, dans des surprises-parties effrénées où se mêlent sexe (entre tout et n’importe quoi), alcool, danse, sans que la morale n’ait son mot à dire. Ce que je trouve excellent chez Vian – et c’est aussi présent dans L’Écume des jours – c’est la totale absence du souci des convenances : les gens baisent partout quand ça leur chante, ils se tuent les uns les autres sans culpabiliser ni être le moins du monde ennuyés. Le tout est écrit avec une finesse qui supprime toute vulgarité pour lui substituer la malice et de grands éclats de rire. Vercoquin et le plancton n’en est pas pour autant vide de sens : si l’absurde règne, c’est surtout pour pointer les excès et incohérences d’une société d’après-guerre gangrénée par les souvenirs des conflits et une bureaucratie aberrante.


Puisqu’on en est aux conseils de Léo Henry, il m’est impossible de ne pas mentionner le Bestiaire, d’Alexandre Vialatte. Je n’ai pas encore fini ce recueil de chroniques que Vialatte publia essentiellement dans le quotidien La Montagne, qui dressent les portraits absurdes et drôles d’animaux plus ou moins exotiques. Si j’en parle, c’est qu’il colle parfaitement au sujet : le style de Vialatte, érudit sans être barbant, à l’humour sophistiqué, nous offre de petites fenêtres amusantes (bien que tout ne soit pas drôle à se tordre) sur un monde où l’exactitude scientifique le dispute à l’imagination la plus farfelue. L’intérêt est que l’on peut piocher à sa guise dans ces portraits sans avoir besoin de s’envoyer le livre en entier – ce qui est sans doute peu recommandé pour éviter l’effet de répétition.


Pour rester dans la catégorie « animaux » (non mais vous avez vu ces transitions, quand même !), je suis tombé par hasard sur un petit livre des éditions Allia : La Loterie du jardin zoologique, de Kurt Schwitters (qui participa au mouvement dada). Je n’en dirai pas beaucoup car c’est très court, mais là aussi l’absurde et la fantaisie sont rois. Je me contenterai de citer l’avertissement de l’auteur qui figure à la fin de la nouvelle : « L’auteur a rédigé cette histoire en détail pour démontrer clairement le risque majeur lié à une loterie de jardin zoologique. On ne devrait pas méconnaître ce danger extraordinaire, et l’on devrait aménager le zoo de sorte que ses occupants puissent y être hébergés convenablement : un désert pour le lion, un fleuve pour l’hippopotame et une haute montagne pour les bouquetins. C’est de l’aide sociale aux animaux et c’est ce qui leur convient. »


Enfin, histoire de dissiper les dernières brumes de morosité qui pourraient résister à tant de bonne humeur, rien de tel qu’un recueil de Julien Campredon, en l’occurrence L’Assassinat de la dame de pique. Après Brûlons tous ces punks pour l’amour des elfes et L’Attaque des dauphins tueurs, on retrouve avec joie l’inépuisable faconde de Julien Campredon, qui se moque de lui-même autant que des autres avec le même entrain. Je n’ai pas encore terminé le recueil, que je fais durer jusqu’à mon départ pour Madère, parfaite transition riante entre la grisaille parisienne et le soleil du sud. Mais je ne doute pas de prendre autant de plaisir qu’avec ses précédents livres.

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