mercredi 16 avril 2014

Kobo Town vs Nii Ayikwei Parkes

Je vous sens frémir d’enthousiasme, chers (car peu nombreux) lecteurs. Mais ce billet ne doit pas être pris pour le signal de la renaissance d’un blog moribond depuis un an. On verra plus tard si la motivation persiste. Je voulais juste faire part de deux découvertes récentes, l’une musicale, l’autre littéraire.

Figurez-vous que j’étais dans le train tout à l’heure (les nouveaux trains de banlieue, tout beaux, tout neufs, mais à la sonnerie de fermeture des portes tellement stridente qu’on a envie de se jeter sous les rails – mais je digresse déjà), à déballer l’album Jumbie in the Jukebox du groupe Kobo Town (Stonetree Records, 2013), découvert grâce à Radio Nova, un groupe mélangeant « calypso, roots reggae, acoustic performance, dub studio techniques and Trinidadian/Jamaican cultures » (je le mets en anglais pour ne pas mal le traduire, même si j’imagine qu’on dit à peu près pareil en français). Me jouant dans la tête l’air du premier titre, Kaiso Newscast, je lisais l’introduction du compositeur, citant ses inspirations, notamment ces fameux jumbies, esprits du folklore caribéen. Dans la mesure où, quelques semaines plus tôt, je lisais Notre quelque part, de Nii Ayikwei Parkes (Zulma, 2014), qui évoque entre autres les esprits des ancêtres au Ghana, j’ai trouvé la coïncidence amusante.



Dans ces cas-là, les coïncidences sont rarement isolées. Ce premier titre parle de la musique calypso, surnommée à Trinité « le journal du peuple », utilisée pour diffuser les nouvelles du monde et les commenter. Elle critique les médias actuels (télévision notamment), qui font de l’actualité comme un employé de chez McDo fabrique un Big Mac, et qui sont plus souvent vecteurs de propagande que d’information :
Three cheers, three cheers America
I hear how allyuh catch a dictator
Gone down in a hole to catch a mouse
While a rat livin’ large in the white house
On pourra goûter le sarcasme, mais ce qui m’a le plus frappé en comprenant enfin ces paroles, c’est cette notion de musique servant à diffuser des histoires, rumeurs ou vérités :
Kaiso better than Fox News or CNN
Because calypso don’t pretend
To inform without comment
Or separate fact from argument
It don’t hide behind stats and figures
And admits its sources are gossip and rumour
But you will never hear how Bin Laden(1) was seen
Liming with Chavez down by the Muslimeen
Et cela m’a fait penser à Notre quelque part (sans doute à cause de la proximité temporelle de ces deux découvertes), dans lequel une affaire de police sera élucidée en écoutant l’histoire d’un chasseur de village. Le chasseur a beau insister sur le fait qu’il s’agit d’une histoire et que s’il parle à la première personne, ce n’est pas vraiment lui qui l’a vécue, ni le héros ni le lecteur n’est dupe : « Dans la tradition de nos Aînés, sεbi, je vais peut-être me glisser moi-même dans cette histoire, mais ce n’est pas moi, hein. Vous avez bien entendu ? »

L’histoire (via sa transmission orale) est ici un prétexte pour raconter la vérité, tout en faisant planer un doute quant à son authenticité, laissant à l’auditeur le soin de l’interpréter. Car les esprits – les jumbies – font partie de cette histoire, et sous quelle autre forme que la fiction peut-on les évoquer sans les dépouiller de leur substance mystérieuse ?

J’admets que ce rapprochement entre Jumbies in a Jukebox et Notre quelque part est quelque peu hasardeux, mais ce double écho jumbies / esprits des ancêtres et « people newspaper » / conte africain m’a semblé intéressant.

Si vous voulez en savoir plus sur Notre quelque part, j’en ai parlé plus longuement dans la Salle 101 ici. Vous pouvez aussi fureter sur le net, car il a eu un certain nombre de papiers élogieux, notamment celui-ci qui insiste sur la qualité de la traduction.

Quant à Kobo Town, étant incapable de parler correctement de musique, vous pourrez vous faire une idée vous-mêmes grâce à Deezer ou Youtube.
 

 (1) NSA, si tu passes par là, non, je ne suis pas un terroriste en puissance. Mais merci pour mes stats de lecture

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