jeudi 31 janvier 2013

Outremonde, suite et fin


Il m’aura fallu une grippe et quelques jours de vacances pour venir à bout d’Outremonde. C’est toujours ainsi quand je m’attaque à des monuments littéraires : je démarre sur un rythme soutenu et régulier pour caler à la moitié du roman ; suivent quelques semaines pendant lesquelles je lis un chapitre par ci, par là, intercalant d’autres livres, BD ou revues, angoissé aussi bien qu’agacé par l’ampleur de la tâche ; enfin, dans un marathon presque inconscient, je dévore le dernier tiers en quelques jours, remis en selle par je ne sais quel déclic – peut-être celui de vouloir en finir. Et ce mécanisme est totalement indépendant de la qualité du roman en question.

Tout cela pour dire que j’ai enfin fini Outremonde, de Don DeLillo, et que mon opinion est à ce jour mitigée. Mis à part quelques passages un peu longs dans la seconde moitié, je ne me suis jamais ennuyé. J’aurais même pu continuer à lire des milliers de pages du même tonneau sans lassitude, porté par un récit qui se régénère en permanence en mêlant d’innombrables lignes narratives qui se font écho, dans le temps et l’espace. C’est à la fois la grande qualité et le grand défaut, selon moi, de ce roman : fascinant à chaque instant, je n’en ai pas vu la finalité globale. Saturé de micro-liens entre les personnages, je n’ai pas saisi le grand tout, la vision macroscopique qui aurait donné à l’ensemble une cohérence. Je pense qu’elle existe cependant, je suis juste passé à côté. Il y a bien sûr la bombe, qui traverse les époques des années 50 à nos jours avec la même force souterraine, la même menace aux effets insidieux, aussi bien physiques que psychologiques. Il y a aussi les ordures, masse de plus en plus incontrôlable, produit de notre civilisation de désir et de consommation effrénée. Mais comment les relier à Klara et à son été sur les toits de New York ? A son mari Albert, 30 ans plus tôt, et son apprenti aux échecs ? Pourquoi n’avoir pas insisté sur la figure de J. Edgar Hoover, qui nous offre les pages les plus passionnantes, mais aussi les moins nombreuses ? Et sœur Edgar ? N’était-ce juste qu’une radiographie (nucléaire) d’une société bâtie sur le peur et la misère, cet underworld du titre original ? Serait-ce le sens de la description du film (apocryphe ?) Unterwelt, d’Eisenstein, placée au centre du roman ?

Je ne sais pas, et j’avoue ne pas vraiment avoir envie de chercher. Il me faudra laisser passer un peu de temps, en discuter avec d’autres lecteurs, car je n’ai pas les clés pour comprendre pleinement ce roman, qui propose pourtant de splendides passages – notamment le prologue. En tout cas, je n’en parlerai probablement pas à la Salle 101, car je ne saurais pas trop quoi en dire…

Restent quelques coïncidences amusantes. En filigrane de ma lecture d’Outremonde, j’ai lu le premier numéro de la revue Believer, dont j’ai déjà parlé, puisqu’on pouvait y voir une interview de DeLillo. Plus loin, je suis tombé sur un article sur les abris antiatomiques et leurs paradoxes (très intéressant au demeurant), alors même que le roman de DeLillo abordait ce thème. Enfin, la page 666 du livre décrit avec force détails les effets de l’explosion d’une bombe atomique sur l’avion qui l’a larguée – une certaine vision de l’enfer. Ah, les hasards de la mise en page…

mercredi 23 janvier 2013

Avec circonspection


Il doit y avoir environ 350 livres qui attendent sagement dans mes bibliothèques que je veuille bien les ouvrir. Je n’y peux rien : je lis lentement et j’achète beaucoup. Je me suis souvent fait la promesse d’arrêter d’acquérir des livres plus vite que je ne les lis, pour aussi souvent laisser tomber cette belle résolution. La faute à des libraires sadiques qui nous attirent dans leurs antres sous des prétextes fallacieux (dédicaces, rencontres, discussions ou pire, bière et apéro) et qui nous mettent sous le nez des ouvrages que l’on ne peut ignorer.

À quoi cela sert-il d’acheter des livres qu’on ne lira probablement jamais ? Déjà, j’ai pour le moment la chance de pouvoir me les payer. Cela ne durera peut-être pas, et alors j’aurai de quoi tenir pour les périodes difficiles. Mais surtout, et puisque je parlais de promesse : les livres en sont pleins. Qu’elles soient contenues dans le titre, le quatrième de couverture, des passages lus au hasard ou encore l’apologie d’un lecteur enthousiaste, elles esquissent des mondes, des personnages, des histoires, une écriture, qui nous charment inconsciemment, nous intriguent. Le mystère qui entoure ces œuvres à découvrir me procure un plaisir qui égale parfois celui de la lecture. « Allez-vous-en, il existe d’autres mondes que ceux-ci ! », dit Jake au Pistolero dans La Tour sombre. Les livres me font un peu cet effet. Cela ne change pas la vie mais rassure un peu dans les moments difficiles.

Dès lors, quand je choisis un livre à entamer, je recherche celui dont le mystère a agi suffisamment longtemps sur mon inconscient, comme un fruit qui aurait convenablement mûri. Je lui tourne autour avec circonspection, en me demandant si c’est le bon moment, si l’univers qu’il paraît proposer est en adéquation avec mon humeur. J’en sors quelques autres, je compare, je pèse le pour et le contre, et je me décide. Le plus souvent, le choix est bon, l’harmonie s’installe immédiatement. Parfois, il y a des déceptions, ou plutôt des erreurs de jugement. Cela m’est arrivé récemment avec L’Univers, d’Hubert Haddad. Je suis au final content de l’avoir lu, mais il ne correspondait pas à ce à quoi je m’attendais. J’aurais dû le lire plus tôt, j’avais eu le temps de m’en faire une idée erronée.

Avec circonspection. C’est amusant, car il y a deux semaines, je n’aurais pas utilisé cette expression. Disons que je n’en connaissais pas le sens véritable, ou plutôt j’en avais une vague idée mais ne savais pas vraiment à quelle occasion la sortir. Il y a parfois des mots, comme ça, qu’on a la flemme de chercher dans le dictionnaire, dont on déduit le sens du contexte dans lequel on l’a lu ou entendu la première fois. Cela dit, cette compréhension « intuitive » fait partie intégrante du processus d’apprentissage de la langue et contribue, selon moi, à son enrichissement. Les mots ne pourront jamais décrire précisément un objet, une idée, dès lors pourquoi ne pas admettre l’interprétation, de subtils décalages sémantiques qui peuvent donner de jolis résultats ? (Je n’ai rien en tête mais j’imagine que les poètes, et globalement les écrivains, font cela très bien.)

Mais je m’égare. Je suis retombé sur cette expression dans Outremonde, de DeLillo. Et là pour le coup j’ai sorti mon dictionnaire, parce que je n’avais pas envie de passer à côté de quelque chose. Circonspection : « Prudence, réserve en actes et en paroles »(1). C’est simple en fait. Et j’aurais dû m’en douter, avec mes cinq ans de latin ! Je me donne parfois l’impression d’être intellectuellement fainéant(2). Ou de ressembler à Perceval dans Kaamelott


Cela dit j’aime bien chercher des mots dans le dictionnaire. Une fois la définition lue, l’œil s’égare sur la page et tombe sur des mots totalement inconnus. Je ne les retiens pas forcément mais j’ai l’impression d’être un peu moins bête(3). Et puis des fois on tombe sur des trucs étranges. Par exemple, la contingence côtoie sur la même page la contraception. Allez essayer de comprendre un concept philosophique (dont un vague souvenir vous fait regretter de ne pas avoir mieux écouté en cours de terminale) et de le situer dans le contexte du livre que vous êtes en train de lire (en l’occurrence Marelle, de Julio Cortazar), quand on vous met sous les yeux le système reproducteur féminin pris d’assaut par un stérilet ou un pénis encapuchonné de caoutchouc ! Bon, je n’irai pas jusqu’à mettre mon incapacité à comprendre ce concept sur le dos du hasard de la mise en page du Petit Larousse, mais quand même…


À propos de Marelle, j’en reparlerai un peu plus dans un prochain billet. Je dis ça juste parce que je ne sais pas comment conclure celui-ci…


(1) In Le Petit Larousse Illustré, édition 2005
(2) Je t’entends, toi, au fond, dire « ce n’est pas qu’une impression » !
(3) Ok, là, ce n’est qu’une impression…

mercredi 16 janvier 2013

Dans une poignée de poussière

Je ne suis pas mystique ni paranoïaque (et pourtant Dieu sait s’Ils m’en veulent), mais j’ai parfois l’impression que l’Univers entier se démène pour m’envoyer des messages. Et il prend son temps. Il y a environ vingt ans, je lisais pour la première fois Le Pistolero, premier tome de La Tour Sombre, de Stephen King. En exergue, on peut y lire la phrase suivante, tirée du poème La Terre vaine, de T. S. Eliot : « Je te montrerai ton effroi dans une poignée de poussière ». Cette phrase et l’image qu’elle véhicule ont eu un impact très fort sur moi à l’époque, et continuent de m’évoquer des mondes épouvantés et désertiques encore aujourd’hui. Pourtant, je n’avais jamais, jusqu’à il y a quelques mois, pensé à lire l’œuvre dont elle est extraite, peut-être par crainte que, recontextualisée, elle perde de sa force émotionnelle.


C’est en écoutant Mélanie Fazi en parler lors d’une rencontre à la librairie Charybde (en juillet 2012, je crois) que j’ai accepté de considérer que La Terre vaine était autre chose qu’une simple citation. À travers cette intervention, l’Univers me faisait comprendre qu’il était temps de m’y coller sérieusement, après ce premier appel du pied d’il y a vingt ans – et répété avec toujours plus d’insistance à chaque lecture du Pistolero, quatre fois au total, sans compter les quatre fois du tome 3 de La Tour Sombre dont le titre d’un chapitre est inspiré de cette même citation. J’ai donc acheté le livre et l’ai rangé dans ma bibliothèque en me promettant de l’en ressortir quelques semaines plus tard. Évidemment, je l’ai oublié.

Mais l’Univers est tenace. L’Univers n’aime pas qu’on l’ignore, fût-ce involontairement. Est-ce l’Univers qui, subrepticement, minutieusement, m’a plongé dans un état d’esprit tel que j’ai eu besoin de lire quelque chose de drôle, de déjanté ? Dans quelle mesure est-il intervenu quand mon choix s’est porté sur Tous à Estrevin !, de Lafferty ? En tout cas il est certain qu’il savait, l’Univers. Il savait qu’Epikt, la machine ktistèque du livre, évoquait cette poignée de poussière pleine d’effroi. Il savait que j’allais tomber dessus.

Alors oui, Univers, tu as gagné, je vais lire La Terre vaine. Promis. Enfin, après que j’aurai fini Outremonde. Et peut-être qu’avant je vais lire Le Diable est au piano, de Léo Henry, parce que quand même, c’est Léo Henry. Ah, et puis il y a Les Soldats de la mer, aussi, des Rémy. Tu ne voudrais pas m’empêcher de lire Les Soldats de la mer, n’est-ce pas ? Mais bon, je sais que tu me rappelleras à l’ordre quand tu auras jugé que j’ai trop tardé – à nouveau. Peut-être qu’alors tu me la feras mordre, la poussière, pour être resté si longtemps sourd à ton appel.

mercredi 9 janvier 2013

Haut dix (BD)


Après le top 10 des livres, voici celui des BD (1) !
 
Les Amateurs, de Brecht Evens (Actes Sud)
L’Art invisible, de Scott McCloud (Delcourt)
Les Aventures d’un homme de bureau japonais, de José Domingo (Bang ediciones)
Crimechien / Hors-zone, de Blexbolex (Cornélius)
Lorna, de Brüno (Treize étrange)
Maus, d’Art Spiegelman (Flammarion)
Snoopy et les Peanuts, l’intégrale, tomes 1 à 12, de Charles Schultz (Dargaud)
Socialiste holocauste tome 1, de Pipocolor (Marwanny Comics)
Super Negra, de Winshluss (Les Requins marteaux)
Vanille ou chocolat ?, de Jason Shiga (Cambourakis)

J’ai découvert Brecht Evens avec Les Noceurs, paru également chez Actes Sud. Epaté avant tout par le graphisme, je me suis laissé séduire par ce récit intimiste (mais pas chiant) au sein de la communauté des fêtards. Evens réitère avec Les Amateurs, qui voit un artiste professionnel s’investir dans une biennale dans la campagne profonde.

Parler de BD sous forme de BD et rendre ça non seulement intelligible, mais instructif : pari réussi pour Scott McCloud, qui n’a certes pas tout inventé, mais qui sait communiquer avec clarté. Un essai indispensable pour qui veut comprendre les mécanismes du neuvième art.
Les Aventures d’un homme de bureau japonais est une BD sans parole, qui avance comme un tapis roulant, sans que l’on puisse s’arrêter. C’est drôle, bourré de détails inventifs, il y a des fantômes, des mutants et tout un tas de personnages farfelus.
Diptyque au graphisme décalé et au propos non moins bizarre, Crimechien / Hors-zone est un OVNI qui oscille entre science-fiction et labyrinthe psychologique.
Depuis Biotope, j’adore le trait de Brüno et suis prêt à le suivre n’importe où. Même dans un hommage assumé aux pulps en tous genres, qui mêle pornographie, extraterrestres, monstres mutants, j’en passe et des meilleures. Plus de précisions ici.
Maus, c’est LE classique de la BD qu’il faut avoir lu. Ou comment retranscrire toute l’horreur de la Shoa sans effusions de larmes (c’est pas TF1, ici !).
Alice Abdaloff a admirablement bien parlé de l’intégrale de Snoopy et les Peanuts, donc je n’en dirai pas beaucoup plus. Ah si, que mon libraire m’a forcé à l’acheter et à le lire. Le problème, c’est que j’aime ça.
J’avais découvert Pipocolor dans une nouvelle au sein du recueil Dieu(x) et idoles paru chez La Boîte à bulles. J’avais adoré son inventivité dans le graphisme et la narration. Dans un tout autre genre, Socialiste holocauste confirme que cet homme est fou. Roman-photo déjanté sur une invasion de zombies au parti socialiste, on y voit une partouze géante entre nos hommes et femmes politiques préférés. Rien que pour ça, ça vaut le coup !

Winshluss est un génie. Qui n’a pas lu son Pinocchio est sommé de le faire sur le champ. Peut-être un ton en-dessous, Super Negra (que Raoul Abdaloff défend avec le brio qu'on lui connaît) n’en est pas moins un régal de méchanceté, avec des Mickey et Dingo dégénérés.
Enfin, on a parlé de fous et de génies. Jason Shiga a l’avantage de posséder ces deux qualités. Vanille ou chocolat ? est une BD multiforme, qui joue avec les voyages dans le temps aussi bien sur le fond que sur la forme.


(1) Pour donner le contexte : j'ai lu 50 BD l'année dernière.

samedi 5 janvier 2013

Coitus interruptus

En général, quand je commence un livre, je ne lis que lui, jusqu’au bout, même quand il m’intéresse peu. À la rigueur, il peut m’arriver de lire en même temps une BD ou une revue, intercalant les articles entre les chapitres du roman, quand je n’ai pas la concentration nécessaire pour me plonger dans une intrigue complexe à un rythme soutenu. Mais il est rare que j’interrompe la lecture d’un roman pour en lire un autre. Cela m’était arrivé avec Les Instructions, que j’avais dû laisser reposer quelques jours en m’aérant l’esprit avec quelque chose de plus léger. Cela ne l’a pas empêché de devenir mon livre favori. Je m’apprête à faire de même avec Outremonde, à un peu moins de la moitié. Non pas qu’il me lasse, mais sa lecture est dense, chaque phrase ou presque porte un sens caché, et l’ambiance n’est pas franchement à la rigolade. Et on va dire qu’en ce moment, j’ai besoin d’un peu de légèreté, ou en tout cas d’un truc un peu délirant (1).


Je ne sais pas pourquoi mais il y a quelques jours, le nom de Lafferty m’est revenu à l’esprit. J’avais adoré Les Quatrièmes demeures, réédité en 2010 par les éditions Zanzibar et que j’ai chroniqué ici. Malheureusement, Zanzibar a dû mettre la clé sous la porte et stopper son programme de réédition de Lafferty, mais on trouve encore quelques uns de ses romans d’occasion. En particulier, mon cousin Aloysius Abdaloff m’a conseillé Tous à Estrevin !, que mon dealer de SF possédait dans son échoppe. Cela fait donc deux bonnes années que ce roman attend dans ma bibliothèque. Je trouve que c’est une bonne occasion de l’en sortir.


Je ne m’attends pas à ce qu’il soit drôle (2), encore moins léger. Les Quatrièmes demeures, sous des dehors décontractés, est cruel et sauvage (3). Mais Lafferty possède cette pointe de folie dont je crois avoir besoin à cet instant précis. Et puis Tous à Estrevin ! est court (250 pages en poche). Du coup, je l’aurai probablement fini pour la rentrée de la Salle 101, ce qui m’évitera de me faire fouetter par Raoul qui reviendra bronzé de son séjour de ski en Suisse. Car en plus, c’est de la SF, et ça fait un moment que je n’ai pas parlé de SF à la Salle 101. Certes, le livre est sorti il y a 40 ans et n’a pas été réédité depuis, mais Lafferty vaut bien les efforts d’une enquête chez les bouquinistes !

(1) Le même besoin qui, dans le même genre, m’a fait interrompre momentanément le visionnage de Tideland, de Terry Gilliam : ce film commençait à me faire flipper tout seul dans mon appart, comme un gamin. Je le finirai quand le soleil brillera.

(2) En fait, j’ai commencé est c’EST drôle ! 

(3) La première phrase est, à ce titre, exemplaire : « Je crois que je vais démembrer le monde de mes mains. »

mercredi 2 janvier 2013

Haut dix (livres)

Et oui, il n’y a pas de raison. Vous ne croyiez pas que j’allais échapper au réflexe pavlovien de la fin d’année qui pousse tout le monde, en commençant par les animateurs télé, à faire des listes, des tops et autres classements sans intérêt ? Bon, en l’occurrence, l’idée n’est pas tant d’établir un ordre que de mettre l’accent sur les livres(1) et BD qui m’ont marqué cette année. Ils seront donc classés par ordre alphabétique. Et bien sûr, vous trouverez aussi bien des nouveautés que des livres sortis il y a des décennies. Mais après tout, comme le dit l’un de mes libraires préférés, « une nouveauté, c’est un livre qu’on n’a pas lu »(2).

Abbés, de Pierre Michon (Verdier)
Anima, de Wajdi Mouawad (Leméac / Actes Sud)
L’Armée illuminée, de David Toscana (Zulma)
Atlas des continents brumeux, d’Ihsan Oktay Anar (Actes Sud)
Cinacittà, de Tommaso Pincio (Asphalte)
Elliot du néant, de David Calvo (La Volte)
Fan Man, de William Kotzwinkle (Cambourakis)
Ni ce qu’ils espèrent ni ce qu’ils croient, d’Elie Treese (Allia)
Le Prophète et le vizir, d’Ada et Yves Rémy (Dystopia Workshop)
La Tour sombre tome 7, de Stephen King (J’ai Lu)

Quelques commentaires sur cette liste.

Une année sans Pierre Michon n’est pas une bonne année. Un style somptueux au service de l’histoire, qui magnifie les gens, les sentiments, le monde. Chaque fois que j’y replonge, je suis épaté par tant de talent, qui a le bon goût de ne pas jouer les m’as-tu vu. Pierre Michon, c’est la classe absolue.

Anima, c’est un livre sauvage, mordant, narré par des animaux – oui. Entre polar et quête identitaire, Wajdi Mouawad livre un roman puissant et beau. J’en parle plus longuement ici.

Une année sans Zulma n’est pas une bonne année non plus. Le dernier opus de David Toscana confirme tout le bien que l’on pense de lui depuis El ultimo lector. Pour en savoir plus, c’est ici.

Atlas des continents brumeux me fut conseillé par ma libraire charybdéenne, et ce fut un excellent conseil. Encore une fois, plutôt que me répéter, je vous renvoie à ma chronique pour la Salle 101.

Cela faisait un moment que Cinacittà attendait dans ma bibliothèque, avec une jolie dédicace de l’auteur rencontré lors d’une édition des Dystopiales. On m’en avait dit le plus grand bien, et je n’ai pas été déçu. C’est drôle, ironique, parfois méchant, et ça parle de Chinois qui investissent une Rome écrasée par la canicule.

Avant d’entamer Elliot du néant, j’ai lu deux recueils de David Calvo : Acide organique et Nid de coucou. Tous deux, d’égale qualité, mériteraient de figurer dans ce top. Notamment, Iceblink Blunk, dans Nid de coucou, relate une enquête au sein de la communauté des bonhommes de neige : c’est tendre, c’est beau, c’est du Calvo. Et puis on y rencontre la jabule… Mais finalement c’est Elliot du néant que je mets ici, car c’est le plus récent, le plus marquant, d’une incroyable richesse malgré son sujet – le néant, donc. À lire absolument.

Fan Man figurait dans la sélection des éditrices d’Asphalte comme libraires du mois d’octobre chez Charybde, ce qui confirme leur bon goût. Complètement barré, Fan Man est un trip halluciné au pays des ventilateurs de poche. Trop génial, mec !

Allia publie de petits livres tout mignons qui se lisent en quelques heures à peine. Le plus souvent, ce sont des documents, des articles, des essais. Mais il y a aussi de la fiction, comme ce premier court roman d’Elie Treese, auteur inconnu qui, espérons-le, ne le restera pas longtemps. Le propos de Ni ce qu’ils espèrent ni ce qu’ils croient n’est pas particulièrement original, mais sa narration spontanée et son ambiance quasi mythologique font de ce texte une excellente surprise.

Après un début qui m’a laissé plutôt sceptique, Le Prophète et le vizir dévoile toute son ingéniosité, nous faisant voyager dans l’espace et le temps, avec un style élégant et moderne.

Enfin, La Tour sombre. J’ai commencé ce cycle il y a presque vingt ans. Il me restait ce dernier tome à lire mais, comme j’ai une passoire dans la tête, j’ai dû relire les précédents tomes pour me remettre dans le bain. Il en a résulté plusieurs mois d’immersion totale dans ce qui restera, je pense, le cycle le plus ambitieux, le plus fantastique qu’il m’aura été donné de lire. Ce dernier tome ne déçoit pas, et conclut la saga de très belle manière.


(1) Je précise que j'en ai lu 52 l'année dernière, histoire de relativiser la chose.

(2) Il faudra un jour que l’on m’explique l’intérêt de la « rentrée littéraire » qui inonde les librairies de tonnes de livres en quelques jours, provoquant une cohue aussi bien matérielle que médiatique qui dessert le livre plus qu’elle ne le sert, à mon avis. Mais bon.